L’employeur qui utilise illégalement une substance toxique porte atteinte à la dignité des salariés qui y ont été exposés. Ces employés pourront obtenir une indemnisation distincte de celle qui répare leur préjudice d’anxiété.

L’employeur qui utilise illégalement une substance toxique porte atteinte à la dignité des salariés qui y ont été exposés. Ces employés pourront obtenir une indemnisation distincte de celle qui répare leur préjudice d’anxiété.

Auteur : Arnaud Camus
Publié le : 20/02/2023 20 février févr. 02 2023

L’employeur qui utilise illégalement une substance toxique porte atteinte à la dignité des salariés qui y ont été exposés. Ces employés pourront obtenir une indemnisation distincte de celle qui répare leur préjudice d’anxiété.

La délivrance d’une attestation d'exposition à l'amiante caractérise une exposition personnelle à l'amiante au cours de la période visée.

Les faits :

Depuis le 1er janvier 1997, l’utilisation de l’amiante est interdite en France, sauf dérogation exceptionnelle et temporaire.
Deux salariés embauchés en 1983 et 1990 par la société Rhône Poulenc Chimie, aux droits de laquelle vient la société Rhodia opération ont travaillé sur un site de l’entreprise qui bénéficiait d’une dérogation l’autorisant à poursuivre l’utilisation de l’amiante jusqu’au 31 décembre 2001.

Cet établissement a été classé par un arrêté ministériel du 30 septembre 2005 pour les périodes allant de 1916 à 1996 et de 1997 à 2001 sur la liste des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante.

L’usage de l’amiante a été poursuivi après 2001 par l’entreprise de manière illégale.

Un second arrêté ministériel du 23 août 2013 est venu étendre la période d'exposition de 2002 à 2005.

Les salariés ont saisi le Conseil de prud’hommes le 15 avril 2015 pour demander réparation à leur employeur de l’utilisation de l’amiante, invoquant :
- un préjudice d’anxiété résultant de leur exposition à celle-ci  ;
- un préjudice causé par le manquement de l’employeur à son obligation de loyauté dans l’exécution du contrat de travail, dès lors qu’il a poursuivi la durée de leur exposition au-delà de la durée légalement autorisée. La cour d’appel de Lyon, statuant sur renvoi après cassation, a jugé la demande en réparation du préjudice d’anxiété prescrite et l’a donc déclarée irrecevable en considérant que c’est à la date du 1er arrêté de classement que les salariés ont connaissance de la période pendant laquelle ils ont été exposés.

Cependant, elle a condamné l’employeur à verser à ses salariés des dommages intérêts pour avoir manqué à son obligation de loyauté, l’amiante ayant continué d’être utilisée sur le site de 2002 à 2005, en toute illégalité et sans que les employés n’en aient été informés tout en laissant penser aux institutions représentatives du personnel que les travailleurs n'étaient plus exposés

Approuvant la décision de la cour d’appel, la Cour de cassation admet que le salarié dont le droit à réparation au titre du préjudice d’anxiété est éteint peut néanmoins obtenir des dommages et intérêts au titre d’une atteinte à sa dignité lorsque que son employeur a eu recours illégalement à l’amiante. 

Il doit donc être distingué deux types de préjudices, chacun correspondant à un manquement différent de l’employeur :
- lorsque l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en utilisant une substance toxique autorisée sans mettre en œuvre les mesures de prévention des risques professionnels adéquates, ses salariés peuvent réclamer l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété ;
- lorsque l’employeur recourt illégalement à une substance toxique prohibée, commettant ainsi une infraction pénale, son exécution déloyale du contrat de travail porte atteinte à la dignité du salarié, lequel peut alors réclamer la réparation d’un préjudice moral, indépendamment du préjudice d’anxiété. 

Le point de départ du délai de prescription de l'action engagée sur le fondement du manquement de l'employeur à son obligation de loyauté, résultant de la poursuite de l'utilisation de l'amiante après 2001, tout en laissant penser aux institutions représentatives du personnel que les travailleurs n'étaient plus exposés, ne peut être fixé qu'à la date du second arrêté ministériel du 23 août 2013 venu étendre la période d'exposition, dès lors que c'est à cette date que les salariés ont eu connaissance de la poursuite de l'utilisation de l'amiante après 2001, nonobstant les affirmations contraires de l'employeur.

Dans son dispositif, la Cour de cassation rappelle qu’il résulte de l'article L. 1222-1 du code du travail que l'atteinte à la dignité de son salarié constitue pour l'employeur un manquement grave à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail
(Soc., 7 février 2012, pourvoi n° 10-18.686, Bull. 2012, V, n° 58).

Dès lors, la Cour de cassation a considéré que la cour d'appel a retenu à bon droit que l'employeur, qui avait bénéficié d'une dérogation jusqu'au 31 décembre 2001 l'autorisant à poursuivre l'utilisation de l'amiante malgré l'entrée en vigueur du décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 relatif à l'interdiction de l'amiante, et continué, en toute illégalité, à utiliser ce matériau de 2002 à 2005 alors qu'il n'était plus titulaire d'aucune autorisation dérogatoire, a ainsi manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi les contrats de travail.

En second lieu, la Cour de cassation a jugé que employeur qui soutenait devant la cour d'appel que tous les salariés de l'établissement avaient reçu leur attestation d'exposition à l'amiante à leur départ de l'entreprise, est irrecevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen contraire selon lequel les salariés ne caractérisaient pas la moindre exposition personnelle à l'amiante au cours de la période concernée.

Il s’agit ici d’une application du principe de cohérence consacré par la Cour de cassation dans sa décision d’Assemblée plénière du 27 février 2009, 07-19.841, Publié au bulletin :

« Vu l'article 122 du code de procédure civile ;
Attendu que la seule circonstance qu'une partie se contredise au détriment d'autrui n'emporte pas nécessairement fin de non-recevoir ;
(…)
« Attendu que, pour déclarer les demandes irrecevables, l'arrêt relève qu'il ressort de l'examen des procédures successivement menées en référé puis au fond par la société Sédéa que celle-ci n'a pas cessé de se contredire au détriment de ses adversaires, et retient que ce comportement doit être sanctionné, «en vertu du principe suivant lequel une partie ne peut se contredire au détriment d'autrui (théorie de l'estoppel)» ;

Qu'en statuant par ce seul motif, alors qu'en l'espèce, notamment, les actions engagées par la société Sédéa n'étaient ni de même nature, ni fondées sur les mêmes conventions et n'opposaient pas les mêmes parties, la cour d'appel a violé le texte susvisé » ;

 

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